La production mondiale d’appareils photographiques, selon la CIPA, a baissé de 39% entre 2012 et 2013. Plus de 75% des Québécois âgés de 18 à 44 ans, selon CEFRIO en 2014, possédaient pourtant un téléphone intelligent permettant de prendre des photos de qualité.
Par Camille Brossard (texte) et Florence Tremblay (vidéo) | Arts, lettres et communication
Les développements technologiques des dernières années ont permis l’avancement des caméras et la démocratisation de la photographie grâce au numérique. Ces progrès permettent une plus grande accessibilité au public, mais aussi aux photographes amateurs de se faire une place dans le milieu de la photographie.
LA MENACE DES PHOTOGRAPHES AMATEURS
«Depuis que j’ai arrêté d’en faire à temps plein je n’arrête pas d’y penser», souligne avec nostalgie l’ancienne photographe professionnelle, Lucie Laforest, en se remémorant ses 30 ans de carrière à photographier des milliers de bébés.
Elle a dernièrement été remerciée de ses services. Elle cuisine maintenant dans un petit restaurant chaleureux situé à Montréal. Elle fait le métier lui ayant autrefois permis de payer ses études puisque les demandes de photographes professionnels ont diminué drastiquement dans les dernières années.
Les photographes amateurs prennent de plus en plus de petits contrats comme ceux dont s’occupaient Lucie. «Je vais rester photographe jusqu’à la fin de mes jours», confirme-t-elle, déterminée à ne pas oublier sa passion même si elle ne peut plus en vivre.
L’ÈRE DU NUMÉRIQUE
Pour Mme Laforest, le numérique a été le début de la fin. La photographie numérique a attiré plusieurs jeunes pigistes et «ils ont réussi à faire à peu près le même travail sur un coin de table en retravaillant sur Photoshop», affirme-t-elle.
Les consommateurs de photographie numérique sont d’ailleurs satisfaits des photos produites par leur cellulaire. Si ces photos avaient à être imprimées, on y verrait une différence, selon Lucie Laforest. Elle croit toutefois à la fin de l’ère papier et de l’imprimante, une autre perte, son avis, pour les photographes professionnels.
L’enseignant en photographie au Cégep du Vieux-Montréal, Martin Benoit, soutient les propos de Lucie. Les nouvelles applications cellulaires, selon lui, créent certainement «une menace pour les photographes professionnels et ils n’en sont pas particulièrement contents». L’enseignant ajoute qu’un «individu moyen voit 4000 images par jour, donc il s’en fait plus qu’avant».
Les appareils bons marchés et l’amélioration de la qualité des photos prises par les téléphones cellulaires ont favorisé les photographes amateurs à se procurer du matériel professionnel. Pour l’enseignant, le numérique a permis aux amateurs de s’improviser photographes.
LE BESOIN DES PHOTOGRAPHES PROFESSIONNELS
La photographe amateure Laurence Belhumeur Roberge pense tout de même que sans l’arrivée du numérique, elle aurait découvert cette passion. Le numérique, aux yeux de cette jeune amatrice enthousiaste, permet aux amateurs de prendre plus de photos.
«Nous, les photographes amateurs, nos enseignants c’est les photographes professionnels», s’exclame Laurence. L’amatrice mentionne ses nombreuses heures à écouter des vidéos tutoriels sur Youtube lui permettant d’apprendre de riches informations sur plusieurs facettes de cet art. Les photographes amateurs ont besoin des photographes professionnels. Sans eux, ils n’aurait peut-être pas découvert une passion.
LA COMPÉTITION AMÈNE LA PERFORMANCE
Le photodocumentariste Renaud Philippe pratique professionnellement la photographie depuis une dizaine d’années. Il travaille à son bureau improvisé disposé au milieu de son appartement lumineux de Limoilou à Québec. L’artiste retouche ses dernières photos entouré de ses plantes grandissantes.Le photographe professionnel témoigne voir les avancées technologiques et les photographes amateurs d’un oeil optimiste.
«Je n’ai pas l’impression que le métier de photographe est en danger», insiste-t-il. L’artiste voit les amateurs en photographie comme des concurrents dans le petit milieu de la photographie. Il trouve même fantastique le travail des jeunes amateurs et leurs initiatives. Ces nouveaux compétiteurs le poussent simplement à toujours vouloir se surpasser.
Laurence Belhumeur Roberge, du même avis, ne pense pas qu’elle et les autres photographes amateurs sont une menace à l’égard des photographes professionnels.
Les photographes amateurs et les photographes professionnels «s’attaquent à deux segments différents de la clientèle », poursuit-elle. Un segment produit principalement des images pour la famille ou des bals de finissants, comme Laurence. L’autre peut s’attaquer à des projets demandant plus de technique ou d’expérience.
Les photographes professionnels doivent cependant redoubler d’ardeur «parce que des photographes amateurs, il y en a en quantité», ajoute-t-elle. Chacun doit, à son avis, trouver sa valeur ajouté, c’est-à-dire, le service apporté au client et les éléments hors du commun.
Elle donne par la suite en exemple des photographes de Victoriaville appelés les Maximes. Ces dernier ont su se faire une place dans le monde professionnel grâce à leur service, leur accessibilité et leur unicité.
PROFESSIONNEL ET AMATEUR : LA DIFFÉRENCE
Selon Renaud Philippe, le bagage et l’expérience font toute la différence entre le photographe professionnel et l’amateur. Il ajoute qu’une fois la technique acquise, il faut l’oublier pour vraiment entrer en contact avec le sujet. «Il faut penser à l’ambiance, à l’atmosphère et à ce qu’on veut traduire de la scène que l’on photographie», précise-t-il.
«L’art est mille fois plus important que la technique», spécifie le photodocumentariste. Les amateurs, selon Philippe, ne songent pas à l’art en premier, il ne font qu’immortaliser l’image avec la technique. Cette façon de penser est la grande différence entre l’amateur et le professionnel, selon lui.
Laurence Belhumeur Roberge, de son côté, est consciente de la différence entre elle et un professionnel. Les professionnels bâtissent leur carrière sur leur expérience. Elle n’est toutefois pas toujours acquise chez les amateurs. Laurence se considère fièrement comme une photographe amatrice, mettant l’accent sur sa passion pour cet art.
POURQUOI CHOISIR LE TÉLÉPHONE CELLULAIRE?
La styliste culinaire Josée Robitaille est la première au Canada à avoir produit un livre de cuisine contenant seulement des photographies faites avec un téléphone cellulaire. Cette dernière mentionne avec entrain la stimulation apportée par son projet, car elle faisait quelque chose n’ayant jamais été vu auparavant.
Elle a choisi de prendre le cellulaire pour produire les images de son livre. Le téléphone est souvent plus accessible, contrairement à un appareil photo et un studio. «Comme je faisais une recette à tous les jours, c’était facile d’accès», continue-t-elle.
Josée Robitaille utilise aussi l’esthétique provenant des photos Instagram. «J’ai fait les photos avec mon téléphone cellulaire pour témoigner de l’instant présent et de l’instantanéité», affirme l’artiste.
La styliste culinaire poursuit en ajoutant savoir que la qualité de ses photos n’est pas celle d’un professionnel, «mais dans le processus de ce projet-là, ça s’apprêtait tout à fait».
Josée Robitaille conclut en affirmant ne pas avoir créé une nouvelle ère. Elle a simplement travaillé avec l’actualité et la popularité des photos cellulaires, mais a hâte de voir si d’autres la suivront.
LA PHOTOGRAPHIE ANIMÉE PAR LES SENS
Le photographe documentariste Renaud Philippe a sorti son premier livre de photographies, Impermanence, en 2016. Son livre présente, dans une élégante simplicité, les paysages thaïlandais et ses habitants.
L’artiste a décidé de ne pas mettre ses photographies en contenu Web. Cette plateforme, selon lui, permet une plus grande accessibilité pour la population, mais celle-ci pourrait lui nuire. Il ne veut pas retrouver ses photographies n’importe où et il ne veut certainement pas les voir prises hors contexte. Le photographe désire aussi transmettre son art par un médium ayant, selon lui, plus d’impact : le livre. Comme il le mentionne, sur Internet, les images peuvent apparaître et disparaître alors que le livre, «on l’a dans les mains, on le sent, on le touche». Appuyer sur un bouton pour faire défiler les photos ne permet pas, à son avis, de ressentir les mêmes émotions qu’en tenant dans ses mains l’oeuvre. Le livre dépasse les images en étant aussi un grand travail de réflexion sur le choix des matériaux ou de la typographie. «Chaque détail dans le livre a été choisi et réfléchi pour servir au message global du travail», mentionne l’artiste.
Dans Impermanence, Renaud Philippe utilise le noir et le blanc pour éliminer les barrières créées par la couleur et mettre de l’avant l’essence de l’image. Le noir et le blanc permettent, à son avis, de ne pas voir les différences ethniques et, surtout, de créer avec une plus grande liberté.
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