Un nombre croissant de créateurs de contenus YouTube vivent de leurs vidéos partout au Québec depuis les dernières années. L’intérêt d’en faire un métier grandit depuis la création de la plateforme en 2005.
Par Sandrine Ouellet (texte) et Marianne Côté (vidéo) | Arts, lettres et communication
Noémie Lacerte, youtuber depuis maintenant trois ans, travaille sur le montage de sa prochaine vidéo dans son nouveau condo épuré et où le soleil hivernal d’après-midi traverse de tous ses rayons la pièce à air ouverte. Elle gagne sa vie grâce à sa chaîne YouTube depuis l’automne dernier, mais cette réalité n’était pas dans sa ligne de mire au départ. Elle faisait des vidéos pour le simple divertissement.
YouTube est devenu son métier et elle consacre en moyenne 40 heures par semaine pour créer ses capsules et gérer tous les projets auxquels elle prend part. Le métier est encore tout nouveau et n’est pas toujours considéré comme tel. «On travaille des heures de fou pour toujours donner notre 110% à notre communauté et se faire à dire à la fin de la journée “non, non, ce que tu fais ce n’est pas un métier” ça peut être plate», relate la youtuber.
REVENUS
Être travailleur autonome est l’une des plus grandes difficultés pour un youtuber. Leurs deux principales sources de revenus sont les vidéos monétisées par les publicités et les collaborations avec des compagnies de tout genre. Le chèque Google n’arrive qu’une fois par mois et son montant varie toujours selon le nombre de vues sur les vidéos et celui des compagnies avec lesquelles ils ont collaboré peut mettre des semaines avant d’être finalement encaissé. «Nous ne sommes pas payés aux deux semaines comme des employés normaux, donc l’argent ne tombe pas du ciel comme les gens pourraient penser», explique Noémie Lacerte.
Des agences comme Goji aident les créateurs avec leur processus de création, la gestion des chaînes, mais surtout avec la sélection et la négociation des collaborations. Ils s’assurent que les contrats sont bien en règle et que le collaborateur et le youtuber travaillent en symbiose. «C’est important que l’univers du créateur soit représenté lors de ces campagnes», affirme une coordinatrice chez Goji, Alicia Boulet. L’agence réclame 20% sur tous les profits du youtuber qu’elle représente en échange de ses services.
Plusieurs compagnies incluent maintenant des youtubers dans leur stratégie de marketing pour cibler la génération des milléniaux. Cette vitrine apporte de la notoriété à la compagnie, mais la chimie entre la marque et le youtuber est primordiale pour créer une bonne publicité. «La beauté dans tout ça, c’est l’authenticité qui se transmet à travers le message unique que le youtuber crée», insiste le propriétaire des thés Não, Jerome-Olivier Malo.
CRÉATIONS D’OPPORTUNITÉS
Les youtubers sont plongés dans l’univers des communications sans vraiment s’en rendre compte au départ et deviennent des influenceurs. Des opportunités dans le domaine artistique professionnel se créent en même temps que leur communauté s’agrandit. «En 2016 et 2017, j’ai eu plein d’opportunités d’aller à la télévision et de travailler avec plusieurs professionnels du milieu artistique québécois», témoigne Noémie des étoiles plein les yeux. Elle rêve d’animer sa propre émission de télévision un jour.
L’agence de youtubers Goji fait partie du groupe Québécor médias et est un atout pour obtenir des occasions de se faire connaître dans de multiples domaines des communications. «Il y a plein de possibilités grâce à YouTube qui n’existait pas avant comme être plus accessible au monde de la télévision ou déjà être connu par des agences de publicité comme Cossette, ce qui peut m’aider plus tard, observe le créateur de contenu web chez Goji et étudiant au cégep en marketing et publicité, William Nadon.
UN FUTUR ENCORE FLOU
YouTube existe depuis déjà sept ans et ses créateurs de contenu font présentement le buzz partout dans le monde, mais l’avenir d’un phénomène sur le web demeure difficile à prédire. Les youtuber ignorent comment visualiser leur futur dans ce domaine, car leur matériel ne plaira peut-être pas éternellement au public. «Même si YouTube dure encore dix ans, ça ne veut pas dire que ma chaîne va durer encore dix ans sur YouTube, constate la jeune youtuber de 20 ans. C’est un métier très stressant, car tu ne sais à quoi t’attendre le lendemain matin».
La professionnalisation du métier de youtuber pourrait toutefois garder sa plateforme en vie, selon la professeure de l’UQAM à l’école des médias, Gabrielle Trépanier-Jobin. Il serait même possible d’offrir des cours sur la gestion de chaînes YouTube et sur le self-branding dans les écoles de médias. «Ça pourrait très bien être inclus à des cours qui existent présentement sans nécessairement réinventer un cours au complet», stipule la professeure.
AU SERVICE D’UN PUBLIC
YouTube crée de la diversification des contenus médiatiques en offrant un large éventail de sujets. Tout le monde peut y trouver son compte. Un utilisateur YouTube peut cibler son information contrairement à ce qu’il pourrait retrouver avec la programmation de télévision traditionnelle. «Ces médias s’adressent qu’à une petite partie de l’audience, alors les gens peuvent se regrouper autour d’une communauté d’affinités, rapporte la professeure de l’UQAM. Ça transforme les rapports sociaux», explique-t-elle. Cette communauté se regroupe derrière un youtuber et participe à l’expansion de la chaîne de ce dernier, mais voir le nombre d’abonnés grossir peut mettre de la pression aux youtubers. «J’ai plus de 100 000 personnes qui ont les yeux rivés sur moi et même si j’essaie d’ignorer ça, il est clair que toutes les décisions que je vais prendre seront en pensant à mes abonnées en premier parce que je suis là grâce à eux et les décevoir est la dernière chose que je veux faire», confie Noémie.
Les youtubers sont exposés au phénomène des trolls et se créer une carapace est essentiel, selon eux. Certains trolls peuvent aller jusqu’à s’infiltrer dans la vie privée des youtubers. «Quand je me fais insulter dans les commentaires sous une de mes vidéos, je me dis “ok, fais-toi plaisir…”, mais dès que ça commence à toucher ma vie privée, ça, par exemple, non. Je ne peux pas le laisser passer», proteste le youtuber William Nadon qui explique avoir reçu un appel d’insulte sur son cellulaire personnel. Ces gens savent rarement qu’ils peuvent être poursuivi en justice et recevoir des conséquences graves à son avis. Outre les trolls, les abonnés appuient généralement leurs youtubers préférés et les suivent dans les différentes lignes éditoriales qu’ils décident de prendre. Les youtubers répètent souvent qu’il sont choyés d’avoir leur communauté. Aucun créateur de contenu web ne peut vivre de YouTube si les abonnés ne génèrent aucun visionnement sur leurs vidéos. «C’est eux qui nous poussent à aller plus loin et à atteindre le sommet de nos rêves!», lance Noémie.
CÉLÉBRER LES YOUTUBEURS QUÉBÉCOIS
Le Oh My Fest! est un festival créé l’an dernier où il est possible pour les abonnés de youtubers de rencontrer leurs idoles du web québécois. Cet événement propulsé par VRAK est produit par l’agence de youtubers Le Slingshot et par le festival d’humour Zoofest.
Les festivités ont réussi à rassembler près de 1300 jeunes l’an dernier. Les producteurs de cette célébration de la culture YouTube souhaitent lui faire prendre de l’expansion cette année et peut-être aller jusqu’à inviter des youtubers de l’international. Les youtubers souhaitent quant à eux réussir à développer un événement de plus grande envergure que ce festival. «On commence à penser plus grand qu’un simple festival, réfléchit la créatrice de contenu, Noémie Lacerte. On aimerait avoir un gala dédié aux youtubers puisque la demande est présente. Nos abonnés veulent une soirée pour leurs idoles qui ne sont plus les gens de la télévision, mais bien les gens d’Internet.»
Les jeunes peuvent participer au grand meet-up, à une programmation en salle et à un accès VIP pour rencontrer le youtuber de leur choix selon le forfait acheté. Les prix varient entre 25$ et 90$. Les jeunes de 12 ans et moins doivent être accompagnés et certaines zones du festival leur seront interdites.
Plusieurs youtubers des agences Le Slingshot et Goji se joindront à la fête cette année. «C’est la première année que je vais y être, je suis assez excité!, s’exclame le youtuber William Nadon de chez Goji. Il y quelque chose de plus humain dans une rencontre que dans un commentaire laissé sous une vidéo.»
Des événements semblables existent déjà à travers le monde. Le VidCon est le plus populaire de tous et se tient en Californie chaque année depuis sept ans.
La deuxième édition du festival Oh My Fest! aura lieu les 22 et 23 juillet prochain dans le Quartier des spectacles de Montréal.
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