En attente des nouvelles statistiques des principales institutions de financement, les réalisatrices québécoises espèrent la parité budgétaire promise pour la création de leurs films.
Par Naomy Thériault | Arts, lettres et communication
Malgré un nombre équivalent de femmes et d’hommes diplômés des écoles de cinéma du Québec, les réalisatrices ont reçu seulement 33% du financement alloué aux longs-métrages de fiction en 2019, selon une analyse de Radio-Canada.
Une telle disparité a d’importantes conséquences sur les réalisatrices et leurs projets. «En tant que femme, je ne suis pas perçue, traitée, de la même façon qu’un homme, admet la présidente de Réalisatrices Équitables, Anik Salas. Je dois prouver deux fois plus mes compétences, mes connaissances.»
Leurs efforts sont souvent insuffisants pour éviter les nombreux refus. «Non seulement il est plus difficile pour une réalisatrice d’obtenir du financement pour réaliser ses œuvres, ce l’est d’autant plus pour être engagée à travailler sur commande corporative ou télévisée», confie la porte-parole de Réalisatrices Équitables en Estrie, Marie-Claude Paradis-Vigneault.

COUPABLES
Les biais cognitifs inconscients sont les premiers sur la liste des coupables. Les hommes ont toujours occupé les postes décisionnels. Ils ont l’habitude d’avoir le dernier mot sur la qualité, le potentiel et la profitabilité d’un projet.
Les producteurs et les réalisateurs ont créé un lien de confiance lorsque venait le temps de gérer de grandes équipes ou des films à haut budget. Les institutions de financement, conscientes du succès de certains cinéastes déjà établis, retournent vers eux pour assurer la rentabilité économique des prochains projets. Sur les 92 films dont les subventions de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et de Téléfilm Canada étaient supérieures à 2,5 millions de dollars, seuls 12 d’entre eux ont été réalisés par une femme, selon une étude de Radio-Canada.
Les réalisatrices éprouvent beaucoup de pression lorsque les institutions osent leur confier un projet. «Je porte le poids des femmes, avoue Anik Salas. Si on m’engage et que c’est la première fois qu’on choisit une femme […] mon travail sera évalué comme celui d’une femme, et non celui d’un individu. On ne verra pas nécessairement du potentiel aux sujets dont je veux traiter s’ils ne reflètent pas les intérêts masculins.»
Même la population a tendance à associer l’homme à la personne derrière la caméra. Il faut se défaire de cette idée préconçue pour permettre aux femmes d’adopter ce rôle et de prouver leur talent.
POUR QUAND, LA PARITÉ?
La SODEC, l’Office national du film du Canada et Téléfilm Canada ont instauré de nouvelles mesures paritaires en 2016 dans le but d’atteindre la parité en 2020. Les trois visaient une répartition du budget de 50% pour les hommes et 50% pour les femmes d’ici quatre ans. De son côté, la SODEC a instauré la mesure 1+1, permettant aux producteurs de présenter deux projets de long-métrage de fiction si l’un d’eux compte une femme à la réalisation ou à la scénarisation.
«Et le cinéma ne s’en porte que mieux!» affirme Marie-Claude Paradis-Vigneault. Des films réalisés par des femmes comme Antigone, Jeune Juliette et Il pleuvait des oiseaux se sont démarqués dans la dernière année. Ils ont rempli les salles et raflé de nombreux prix.
Il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction, mais du travail reste à faire. Bien que les chiffres de cette année demeurent inconnus, des réalisatrices telles que Sophie Deraspe, Anne Émond et Louise Archambault sont des exemples du changement. Elles ont prouvé la capacité des femmes à concevoir des films prospères.
Chacun a un rôle à jouer pour donner aux femmes la place qui leur revient. Valoriser et promouvoir le travail des réalisatrices dans les médias est nécessaire pour habituer la population à les voir occuper ce rôle. L’intérêt à long terme du public force les bailleurs de fonds à reconnaître l’apport des femmes dans l’industrie cinématographique. «Si on relâche notre vigilance dès qu’on fait des avancées, la situation revient à ce qu’elle était», avertit Anik Salas.