Vous ne me connaissez probablement pas. Vous m’avez possiblement vue déambuler dans les couloirs du Cégep à Terrebonne, parfois cernée, parfois perdue, souvent essoufflée. Non, je ne suis pas une enseignante retardataire qui devrait demander un nouveau réveil-matin pour Noël. Je suis une étudiante en Arts, lettres et communication de 28 ans, maman d’une petite fille de 5 ans et fraîchement diplômée du secondaire.
Par Carol-Ann Larouche
Dans le texte qui suit, je vous conterai mon histoire. En me connaissant mieux, ce sera certainement plus simple de vous ouvrir à moi à votre tour, à mon plus grand plaisir.
De tous les paysages que j’ai vus lors de mes nombreuses fugues à l’adolescence, le Cégep à Terrebonne est celui que je préfère, aussi étonnant que cela puisse paraître. Ses murs, ses corridors et ses salles de classe seront à jamais gravés dans ma mémoire comme étant l’une de mes plus belles réussites. Fréquenter ce lieu m’aura entre autres permis de m’affranchir du poids de puissantes étiquettes; je suis une ex-enfant de la DPJ, je proviens d’un milieu que l’on peut qualifier de défavorisé et je n’ai obtenu un diplôme de secondaire qu’en août dernier.

Quand je parle d’étiquettes, c’est notamment parce qu’on m’a souvent rappelé que, d’où je proviens, les rêves ont cette tendance à s’éteindre eux-mêmes pour laisser place à la survie. Je me suis d’ailleurs moi-même déjà accroché à cette idée selon laquelle je ne pouvais accéder au confort de la fierté, faute d’avoir eu la chance de naître dans un environnement propice à la réussite.
Originaire de Jonquière, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, j’ai emménagé à La Tuque, en Mauricie, avec ma mère, à l’âge de 6 ans. J’y ai fait tout mon primaire ainsi que deux années de secondaire que je n’ai pas complété. Gravement victime d’intimidation ainsi que de violence physique, j’ai quitté l’école alors que je n’étais âgée que de 14 ans sous les recommandations de la direction, complètement dépourvue de solution devant l’ampleur de la situation, préférant ainsi compromettre mon avenir pour «laisser le temps à la poussière de retomber», selon les dires de la directrice de l’époque.
J’ai ainsi passé entre les mailles du filet d’un système défaillant, avec même pas de secondaire 2 en poche, en me rebellant petit à petit contre toute forme d’autorité, estimant que celle-ci m’avait cruellement laissée tomber. J’ai multiplié les frasques, commencé à consommer et à travailler dans les bars à l’âge de 15 ans. Tentant finalement de fuir cette ville qui me pourrissait l’âme en faisant de nombreuses fugues qui se sont soldées par de longs séjours en centre jeunesse et en famille d’accueil.
Le désir de m’accomplir est pourtant toujours resté au fond de moi. J’ai probablement été sauvée de cette vie tumultueuse par un ange qui y est passé par surprise: ma fille.
J’ai parcouru des chemins sinueux après avoir mis au monde cette petite surprise qui n’allait pas bien du tout dans le décor désordonné de ma vie d’avant. Doutes, remise en question, dépression… Il faut possiblement être soi-même parent pour comprendre l’effet que ça fait de voir son enfant pour la première fois en réalisant que l’on a mis au monde un être qui se rapproche de la perfection tout en ne se sentant pas à sa hauteur.
J’avais envie que mon enfant soit fière de sa mère. J’avais moi-même envie de ressentir de la fierté en regardant mon reflet dans le miroir. J’ai ainsi lentement commencé un long travail de guérison; celle de mon passé. J’ai accepté de prendre toutes les ressources qui s’offraient à moi. Je dois dire qu’on a la chance d’habiter une région qui en regorge, notamment pour les jeunes mères.
J’ai intégré un organisme de Terrebonne qui s’appelle Moms, dont la mission est de venir en aide aux mamans de 14 à 25 ans afin de les sortir de l’isolement. Les femmes rencontrées là-bas m’ont appuyée, encouragée et forcée à dépasser mes limites. Elles m’ont également permis un retour à l’école en toute quiétude, profitant d’un partenariat avec le Centre l’Avenir pour offrir aux parents désireux d’obtenir un diplôme de secondaire un parcours gratuit et personnalisé dans les locaux de l’organisme avec enseignants et intervenantes à disposition pour les moments difficiles.
C’est donc durant ce parcours qui aura duré un peu plus de trois ans que j’ai réussi à me faire suffisamment confiance pour atteindre mes objectifs. Je ne suis pas peu fière d’être désormais assise parmi vous chaque jour de la semaine, je crois que les mots ne sont même pas suffisants pour exprimer cette gratitude que je ressens d’avoir la chance de vivre en quelque sorte une nouvelle vie, une vie qui me plaît et qui me colle plus à la peau que celle qui semblait m’être destinée. S’il y a une leçon que je retiens de mon parcours, c’est que le premier pas pour obtenir ce que vous voulez, c’est d’avoir le courage de quitter ce que vous ne voulez plus.