Les artistes déshabillent la pudeur

La réglementation autour de la nudité en société démontre un caractère pudique partagé par plusieurs individus. Les artistes déshabillent les corps dans leurs créations malgré les standards moraux sociaux. Regard sur la quête d’émancipation du corps en terrain artistique.

Par Myriam Desmeules (texte) et Nathan Jomphe (vidéo) | Arts, lettres et communication

Seulement 3% des Françaises interrogées associent la nudité au mot «vulgarité» selon une étude réalisée auprès de 1000 Françaises et publiée sur Statista en 2009. Ce sont plutôt des mots comme «liberté», «naturel» et «beauté» qui leur viennent à l’esprit lorsqu’il est question de nudité.

LA NUDITÉ DANS LES MUSÉES

Les œuvres nues ont leur place gardée au chaud dans les petits et grands musées d’art à travers le monde comme au Musée des Beaux-Arts de Montréal, au Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou à Paris ou encore au célèbre et immense Musée du Louvre.

Les couloirs de ce dernier sont meublés de sculptures antiques nues de l’époque des hiéroglyphes égyptiens aux sculptures classiques italiennes et françaises. Des figures mythologiques dévêtues sculptées dans le marbre ou le bronze  témoignent d’un historique dans lequel le nu s’est réinventé à travers les époques et les courants artistiques. Il était symbolique durant les temps anciens. Puis, il s’est développé en message au service de revendications sociales dans les débuts de l’art contemporain.

Sur la place publique, dans la rue ou sur les réseaux sociaux, les réactions sont plutôt froides à l’égard des corps nus exhibés en contexte artistique ou récréatif. Le regard des admirateurs s’est transformé en regard voyeur. «Les sculptures grecques ont acquis avec le temps une dimension érotique qu’elles n’avaient pas à l’origine, déplore une photographe de nu, Valérie Rosz.

LA NUDITÉ DANS LES CULTURES

Un fossé se creuse entre les cultures quant à leur tolérance envers la nudité dans les endroits de la vie quotidienne. «Au Québec, il n’y a pas de statues de nu nulle part, souligne Alain Houle, historien de l’art […] Alors qu’en Europe, tu peux pas les cacher. Il y en a partout».

Les transformations des sociétés et des aspects de leur culture ont une incidence sur la permissivité de la nudité. La pudeur sociale s’est développée au sein d’une société antique à l’arrivée d’une nouvelle religion dans leur vie. «Si on regarde chez les Grecs anciens, les scènes de sexe était couramment représentées, même sur de la vaisselle, révèle le spécialiste en histoire de l’art […] C’est quand la religion catholique est arrivée que la nudité est devenue interdite».

Les coutumes vestimentaires ne laissent pas de zone grise. «[Au Québec], autant les Femen choquent, que les femmes qui vont porter le burkini vont choquer aussi, déplore la bachelière en sexologie et enseignante en éthique et culture religieuse, Josée Rochefort. On peut se questionner […], ils sont outrés qu’une femme montre ses seins, puis ils sont outrés que la femme cache son corps, on se situe où dans le milieu?»

Comme le burkini n’est pas issu du cadre culturel québécois, il dérange et comme les racines québécoises sont catholiques, la nudité est proscrite.

REDÉFINITION DES CONCEPTS SOCIAUX

Les concepts clés tels l’érotisme, les genres, les organes génitaux et la pudeur sont définis autrement dans la tête des artistes. Leur vision de la nudité est en marginalité. «À la base c’est important de ne pas oublier que la binarité des genres est un concept qui a été inventé dans la société, soutient l’artiste visuelle, Maude Bergeron. Le principe d’homme et femme n’est pas réel […] on peut très bien s’identifier à aucun genre».

Cette conception impudique des silhouettes déshabillées est l’essence de l’art nu et des valeurs que veulent véhiculer ces artistes. Valérie Rosz fait principalement de l’autoportrait et se met à nu pour défendre que «l’érotisme et la nudité sont le propre de l’homme, l’origine et le commencement. Il n’y a pas de raison de rougir de cela ou d’en avoir honte. J’aimerais qu’on glorifie  et honore [le nu] au lieu de le condamner».

DÉPEINDRE LE CORPS

L’artiste et auteure du projet Les folies passagères, Maude Bergeron, souhaite changer le regard posé sur les corps à coups de pinceaux imbibés d’aquarelle. Les corps nus sont les véhicules les plus révélateurs de sa visée. «Ça me permet directement d’exposer des choses qui sont très taboues, comme par exemple les poils corporels, les vergetures, la grosseur, les bourrelets, la graisse, les menstruations [et] les organes génitaux», défend la jeune artiste féministe.

Une jeune femme, Coralie Apollo, s’est déshabillée volontairement devant l’objectif de Boucane et de 1001 fesses pour rendre hommage à son corps féminin. Même si sa première collaboration artistique nue l’intimidait au départ, elle est ressortie des séances photographiques avec une image valorisante d’elle-même. «[Poser un regard artistique sur soi] permet une belle réappropriation  [de son] corps, croit la modèle. C’est un bel exercice à faire pour soi». Elle recommande cette expérience à ses amis et elle est ouverte à la revivre.

Mme Rosz souligne que le regard d’autrui est sujet à diverses interprétations d’une image. «Le nu se détermine autant dans le regard du spectateur que dans l’œuvre, précise la photographe. Un corps habillé d’un drapé moulant peut être plus érotique qu’un corps entièrement dénudé. Tout dépend du contexte, autant du destinataire de l’œuvre que de l’endroit où elle est présentée».

Les reproductions de Vénus par Botticelli, Titien, Goya et d’autres encore, représentent cette idée d’un même corps présenté et perçu différemment. Au final, un sein à découvert, un sein caché par une chevelure ou un sein camouflé par une main suggèrent tous l’éros.

L’ART SANS-ABRI

«La réglementation concernant la nudité sur Internet tente de définir la frontière entre l’art et la pornographie. Cependant, certaines photos artistiques jugées trop explicites demeurent censurées. Parmi les exceptions, des photos de nudité ne cadrent ni dans l’art, ni dans la pornographie et sont conservées sur les écrans. Sur Facebook et Instagram, une photo artistique d’un sein nu sera censuré, mais un dessin ne le sera pas. Les seules photos de seins nus tolérées seront des photos liées à la mastectomie et à l’allaitement.

Le rapport de pudeur entre la société et la nudité limite le travail des artistes par des règles de censure en terrain public. À l’avantage de ces artistes, des espaces réservés aux œuvres permettent aux plus explicites de trouver foyer. «J’ai un site web sur lequel  je peux publier absolument tout les dessins peu importe leur degrés de nudité, ou les sujets, confie Maude Bergeron. C’est pas mal à cet endroit là que tout peut rester d’une manière assurée».

La relation entre artiste et amateur d’art est préservée sur ces sites personnels des créateurs. Ce lien est privilégié par les artistes qui ne font pas des productions destinées au grand public. «Je peux rejoindre une certaine catégorie de gens, et sûrement la plus importante, par le réel et par la publication de livres, parce qu’elle touche les intellectuels et amoureux des arts, mais aussi ceux qui ont une réelle admiration pour ma photographie» déclare Valérie Rosz, photographe d’auto-portraits érotiques.

LES BARRIÈRES PLASTIQUES ET PHOTOGRAPHIQUES

Plus l’art est concret, plus l’observateur se sent près de l’œuvre. «L’Origine du monde, c’est une peinture […] Il y a une distance, souligne M. Houle. Nan Goldin, ça choque plus […] Une photo, c’est le reflet de quelque chose».

La modèle nue, Coralie Apollo, convient que la photo est «plus cru» et que d’autres moyens artistiques comme «le théâtre, le dessin et la peinture [permettent] un détachement. «Ces choses-là, ces œuvres d’art-là, devraient quand même avoir une place où exister, mais ça se peut qu’on les censure plus dans le quotidien».


La nudité dans les mots

La nudité n’existe pas que par l’œil, mais également par les mots. Elle se présente sous plusieurs prétextes, mais accompagnée d’érotisme, elle est difficilement tolérée. Un enseignant de littérature au Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne, Vincent Royer, crie au puritanisme.

Vincent Royer, passionné des lettres, ne voit rien de choquant dans les productions littéraires comportant de la nudité. Dans ses activités pédagogiques, il lui est arrivé de présenter des passages à caractère sexuel.

Dans le cadre du cours L’écrit et l’image, M. Royer présentait quelques années auparavant Lunes de fiel par Pascal Bruckner, un roman qui l’intéresse pour son traitement du sujet des relations amoureuses. Sans étonnement, le retour des élèves est connoté de réactions troublées par les quelques pages érotiques.

OUTIL PÉDAGOGIQUE

Les cours au collégial doivent permettre d’atteindre les compétences dictées par un devis ministériel. De ces balises gouvernementales, les programmes d’éducation sont créés par les institutions collégiales. Elles déterminent les objectifs d’apprentissage et les contenus à enseigner. Les œuvres présentées aux étudiants pour leur permettre d’atteindre les compétences sont choisies par l’enseignant.

M. Royer défend son choix pédagogique. «Je crois beaucoup aux vertus d’éros, en contexte scolaire et en dehors, s’exclame-t-il avec intérêt. Ça tient éveillé et ça stimule la concentration». Il espère influencer certains étudiants à s’intéresser davantage à la littérature en attirant leur attention sur l’éveil des sens que peut procurer la lecture.

«LA PUDEUR EST INVENTIVE»

L’enseignant de littérature s’interroge sur la pudeur des lecteurs. À son avis, «nudité n’est pas synonyme d’érotisme» s’écrit-il les grands yeux ouverts. «Est-ce que c’est parce qu’on se retrouve en position du voyeur?» se questionne-t-il perplexe. Il souligne la relation d’intimité existante entre les personnages et les consommateurs de livres.

De même idée, il cite Nietzsche: «La pudeur est inventive». Son expérience en tant que pédagogue lui permet d’observer des réactions vives à l’égard de nudité, d’érotisme et de sexualité abordés par des mots crus. Au même titre ques les arts visuels nus, certains mots ne laissent aucune place à l’imagination et suggère des images à l’abris de l’auto-censure.

À lire aussi: L’art au bout des lèvres

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