Et au pire, on adaptera

Un nombre croissant d’auteurs contemporains québécois se font offrir l’opportunité de voir leurs œuvres littéraires adaptées pour le grand écran au Québec au cours de la dernière décennie.

Par Audrey Lemire (texte) et Émilie Côté (vidéo) | Arts, lettres et communication

Le cinéma québécois est actuellement en déclin en raison de la consommation de films désormais possible sur plusieurs plateformes, dont la gargantuesque entreprise américaine Netflix. Les maisons d’éditions québécoises reçoivent pourtant plus de demandes d’adaptation pour les œuvres de leurs auteurs qu’il y a cinq ans.

L’écrivaine franco-québécoise, Sophie Bienvenu, est l’une de ceux à qui on a offert cette chance. Elle verra bientôt au cinéma l’adaptation de son premier roman, Et au pire, on se mariera, publié par La Mèche en 2011. Comme plusieurs autres romanciers contemporains, l’auteure de 36 ans entre dans cette nouvelle ère où les demandes d’adaptations cinématographiques de romans sont non seulement en augmentation, mais sont particulièrement orientées vers les œuvres à l’imaginaire vif des jeunes auteurs québécois.

ÉCRITURE ÉCLATÉE

Selon l’enseignante de littérature québécoise Mélanie Tancrède, la littérature du Québec est actuellement très «dynamique et innovatrice». La pédagogue passionnée a non seulement accompagné des étudiants pour le Prix littéraire de collégiens depuis plusieurs années, mais a aussi voyagé à Paris pour les délibérations du Prix Goncourt des Lycéens en 2015 et en 2016. Elle a entre autres remarqué une différence formelle entre ces deux littératures qu’un océan sépare. «Dans la littérature contemporaine française, les codes littéraires sont très bien maîtrisés, mais il y a un peu moins d’audace, précise l’enseignante. Ici, on a des idées très originales dans des formes peut-être plus éclatées et des risques sont pris au niveau d’éléments tels que la narration.»

Les écrivains recontrés ressentent aussi le phénomène dont Mme Tancrède fait état. Sophie Bienvenu y fait d’ailleurs référence en discutant avec son bon ami, l’auteur Matthieu Simard, alors qu’ils partagent un latté dans un café de Rosemont. «Je lis exclusivement du québécois depuis quelques mois, donc j’ai une bonne idée de ce qui se fait en littérature québécoise en ce moment, assure-t-elle. C’est vrai que ça foisonne en ce moment et je suppose qu’il y a beaucoup de cinéastes qui lisent quelque chose qui les rejoint.» Des oeuvres telles que La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette et La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen sont à ses yeux de bons exemples d’écritures qu’elle qualifie de cinématographiques. «On lit le roman et on se l’imagine déjà à l’écran, donc il y a peut-être déjà un pas de fait vers l’adaptation», ajoute Sophie Bienvenu. Barbeau-Lavalette, aussi réalisatrice, a d’ailleurs prévu adapter le roman de Pettersen pour le cinéma.

OUVERTURE THÉMATIQUE

«Devrait-on s’en tenir à l’adaptation de romans de la culture québécoise traditionnelle?», se questionne le chargé de projets au contenu du cinéma et des productions télévisuelles à la SODEC, Laurent Gagliardi. Le Québec a longtemps vu ses classiques de la littérature adaptés au cinéma avant les années 2000, donnant lieu à des œuvres typiques de la tradition québécoises telles que Maria Chapdelaine et Ti-Coq. «Il y a eu des romans québécois comme Le Survenant et Un homme et son péché, qui faisaient partie de la littérature classique québécoise et dont les adaptations ont su trouver un public, explique M. Gagliardi. Faudrait-il alors retourner aux romans traditionnels, ou travailler à partir d’œuvres qui sont soi-disant populaires et qui ont eu un accueil critique?» Le potentiel économique devrait selon lui être une donnée à laisser de côté lorsqu’un producteur envisage l’adaptation d’un roman. «Je pense que c’est la pulsion qu’ont le producteur et le scénariste qui importe avant tout», conclut l’employé de la SODEC.

La culture québécoise évolue en dehors de cette tradition d’œuvres dont l’identité québécoise est la pierre angulaire depuis le tournant du XXIe siècle. «Elle sort de ce dilemme identitaire et de cette éternelle quête, ce qui n’est pas banal, exprime l’enseignant du cours L’écrit à l’image, Vincent Royer. Ça a fait partie de notre histoire, mais elle se construit maintenant aussi sur l’ouverture aux autres.» Il évoque entre autres l’importance qu’a pris la littérature migrante dans notre culture et la façon dont elle a «décloisonné» la littérature au Québec. «Elle n’est plus “québécoise de souche”, mais bien exposée à d’autres thèmes, renchérit le jeune enseignant. Il y a maintenant le sans complexe d’écrire une histoire de littérature québécoise, mais qui se passe au Brésil ou ailleurs.»  

Représentation graphique - Audrey Lemire

ENFANTS DE LA TÉLÉ

L’ensemble des littéraires rencontrés sont d’accord: le fait d’avoir été exposé à une culture télévisuelle et cinématographique depuis l’enfance est un des aspects importants caractérisant la génération d’auteurs actuelle. «On ressent l’influence du cinéma sur les auteurs dans leur manière d’observer et de décrire des scènes et souvent dans la façon de mener l’intrigue ou de créer un suspense», explique Mélanie Tancrède. Patrick Senécal est pour elle un bon exemple de cette influence puisqu’il emploie des tensions narratives puisées de schémas scénaristiques de films de suspense ou d’horreur. «Quand un auteur du 19e siècle voulait décrire une scène ou créer une émotion, les seules références qu’il avait étaient littéraires ou poétiques, parce que l’image n’existait pas, analyse l’enseignante de littérature. Aujourd’hui, un jeune auteur qui veut faire l’exercice de construire une scène pour créer une émotion est nécessairement influencé par toutes les images qu’il a vues au fil de sa vie.»

Matthieu Simard, ayant récemment scénarisé l’adaptation cinématographique de son roman Ça sent la coupe, réfléchit à la facilité qu’ont en commun Sophie Bienvenu et lui de faire converser les personnages de leurs oeuvres. «On est des bons dialoguistes, toi et moi, lance-t-il en échangeant un regard complice avec sa grande amie. On le voit dans nos romans, ce qui facilite le travail de scénarisation nous vient beaucoup de la télé et du cinéma.» L’écrivaine partage ce qu’elle ressent lorsqu’elle se plonge dans les livres de Matthieu. «Quand je lis tes romans, je vois l’histoire et dans ton écriture, je retrouve le sens du punch. C’est très influencé par les séries télé, où il se passe quelque chose à chaque fin d’épisode.»

DÉFIS DE L’ADAPTATION

L’adaptation est une opportunité immense, principalement pour la visibilité qu’elle procure à l’oeuvre littéraire de laquelle elle est inspirée. Elle ouvre aussi les portes de l’écriture scénaristique aux auteurs, ce qui leur permet de diversifier leur travail et de se procurer un revenu supplémentaire. Cet univers unissant deux formes d’art comporte tout de même plusieurs défis. Matthieu Simard explique qu’il y a beaucoup d’appelés pour peu d’élus lorsqu’il est question de parvenir à faire produire un projet d’adaptation. L’auteur estime que seuls sept ou huit adaptations sont financées par la SODEC parmi la cinquantaine de demandes de financement de projets qu’ils reçoivent chaque année.

Laurent Gagliardi soutient pour sa part qu’il est dur de prédire le succès économique d’une adaptation. «Entre le lectorat et le public de cinéma, il y a deux mondes: ce n’est pas assuré qu’un public qui lit va nécessairement aller voir le film.»

Matthieu Simard réfléchit aussi au défi d’actualisation vécu par le cinéma. «Il y a une dizaine d’années, si on voulait avoir une expérience cinématographique, il fallait aller au cinéma. Maintenant, on peut regarder des super bonnes séries dans le confort de notre foyer.» Sophie Bienvenu le taquine en ajoutant que «les divans sont plus confortables». «Les chips sont sans doute plus goûteux», renchérit son collègue, un sourire au coin. Les deux amis échangent un regard et s’esclaffent.


L’opportunité d’écrire plus que des romans

Sophie Bienvenu et Matthieu Simard abordent les avantages d’avoir vu leur roman adapté tout en terminant leurs cafés. Ils ne mentionnent pas les bénéfices financiers, la notoriété ou la fierté de voir leur oeuvre prendre vie à l’écran, mais plutôt l’opportunité d’un contact direct avec la scénarisation.

Les deux écrivains s’entendent pour dire que l’écriture scénaristique est une grande valeur ajoutée à leur carrière. «J’aime la variété, je trouve ça intéressant de pouvoir déposer un roman, puis ensuite passer à l’écriture de scénarios parce que c’est une écriture qui est tellement différente», explique d’abord Matthieu Simard. L’adaptation de son roman lui a servi de porte d’entrée vers une forme d’écriture qu’il souhaitait déjà explorer. «Ça a été comme un cours de scénarisation tout en étant payé pour le faire et en ayant un film au bout du compte, résume-t-il, avec un sourire en coin. J’ai l’impression que, si j’écrivais seulement des romans, de un, ce serait plus dur d’en vivre et de deux, peut-être que je tournerais en rond et que je m’épuiserais à le faire, alors que là, je peux alterner et avoir du plaisir à faire les deux.»

Une relation s’installe entre les deux formes littéraires, selon l’auteur, lorsqu’on alterne d’une à l’autre. La structure propre aux scénarios nourrit en quelque sorte l’écriture de ses romans. Même si Sophie Bienvenu ne considère pas, pour sa part, qu’il existe une telle relation entre ses écrits, elle accorde elle aussi un grand intérêt à intégrer l’écriture scénaristique au sein de sa carrière. «En général, ça me prend deux ans avant d’écrire un nouveau roman, pour avoir assez de matériel dans la tête pour écrire autre chose, mais pendant ces deux ans-là, normalement, je joue à Candy Crush! confie-t-elle alors qu’elle lance un regard complice à son ami. Donc, écrire des scénarios, avoir d’autres histoires à développer, ça me permet d’écrire tout le temps.»

À lire aussi : Un long voyage entre le roman et l’écran

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