Le professeur en édition à l’Université McGill, Pascal Genêt, est préoccupé par la situation actuelle des librairies indépendantes. Son rôle de directeur général des Éditions XYZ l’amène à se questionner sur l’avenir du monde du livre québécois.
Par Laurence Roberge | Arts, lettres et communication
Selon vous, pourquoi les librairies indépendantes sont-elles en si grand danger face aux magasins à grande surface et aux librairies à succursales?
Il y a un danger lié au pouvoir d’achat. Par exemple, avec l’acquisition d’Archambault par Renaud-Bray, on se retrouve face à un ensemble de plus de 45 points de vente. Quand ces librairies s’approvisionnent chez les éditeurs, elles ont un pouvoir d’achat bien plus considérable, ce qui leur permet de faire de plus grandes négociations. Il y a un certain risque de monopole.

Comment le monde du livre pourrait-il être affecté par la disparition des librairies indépendantes?
La réponse est simple: il n’y aura plus de monde du livre s’il n’y a plus de librairies indépendantes. Il ne peut pas y avoir un écosystème du livre avec la diversité nécessaire sans les librairies indépendantes. Les libraires sont des médiateurs indispensables dans la chaîne du livre, car ils sont ceux qui se trouvent entre les distributeurs et les lecteurs. Ce rôle est absolument fondamental, car le choix des livres qu’ils vendent contribue au succès ou à l’échec de ces œuvres.
Selon vous, quel est le rôle des commerces en ligne, par exemple Amazon, et de la vente numérique dans cette problématique?
La vente en ligne est beaucoup plus préoccupante. En effet, le marché du livre québécois est protégé par une loi, mais comme Amazon se trouve en dehors de ces frontières, il n’est pas soumis à celle-ci, même s’il livre partout au Québec. On est face à des joueurs qui n’ont pas les mêmes moyens que nous, ni financiers, ni techniques, ni technologiques. La bonne nouvelle, c’est que pour l’instant, Amazon ne s’intéresse pas trop à la littérature québécoise, car c’est payant seulement quand il y a une rotation de livres. Donc, d’un côté, vous avez une diversité, et d’un autre côté, vous n’avez que les best-sellers.
Le monde du livre a-t-il été affecté jusqu’à présent par la disparition progressive des librairies indépendantes?
Quand une librairie ferme, personne ne fait la fête. C’est toujours inquiétant, surtout quand c’est dans une communauté qui n’est pas très bien desservie à la base. Par exemple, si une librairie ferme à Drummondville ou à Trois-Rivières, il ne reste peut-être qu’une autre option de librairie dans la région. Une librairie, c’est une communauté, c’est un endroit où l’on fait des lancements, où il y a des séances de signatures.C’est un endroit de vie. Une fermeture de librairie, c’est donc un deuil pour la communauté
Quel sera l’impact de la disparition des librairies indépendantes sur le choix des livres offerts aux Québécois?
La disparition des librairies indépendantes entraînerait très probablement la disparition d’un certain type d’édition, mais pas de tout le milieu du livre. Le type d’édition affecté serait évidemment l’édition littéraire, car fondamentalement, ce sont les libraires indépendants qui sont au coeur des découvertes littéraires et qui participent à la reconnaissance des livres. On risque donc d’être face à une production orientée en fonction de la demande plutôt qu’à une production de création qui ose brasser la cage.