L’itinérance en croissance dans la capitale du bonheur

Verte, jeune, éduquée, belle, Copenhague est reconnue comme une des villes où il fait le mieux vivre au monde. La pauvreté y semble inexistante, mais elle est pourtant de plus en plus présente.

Par Félix Ouellet, à Copenhague

La question de l’itinérance reste une préoccupation dans cette ville où les loyers ne cessent d’augmenter. «Bien que ce soit une problématique mineure, lorsque comparée à d’autres villes du monde, Copenhague a vu son nombre d’itinérants augmenter depuis quelques années, et la tendance est à la hausse», mentionne Sune Caspersen, jeune économiste danois du Conseil économique du Mouvement des travailleurs établis au centre-ville de Copenhague.

Ce think tank dont l’influence est à l’échelle du Danemark est financé par un groupe de syndicats se rapprochant de ce qui est ici la FTQ et la CSN. Le Conseil coordonne les activités des différents syndicats provinciaux et tente de mettre en lumière certains enjeux sociaux.

Sune Caspersen, jeune économiste danois du Conseil économique du Mouvement des travailleurs à Copenhague. Photo : Charles Messier.

QUE FAIT LE SYSTÈME?

Le cas de Sven est révélateur. Itinérant depuis maintenant quelques années, l’homme a tout perdu en raison d’un accident ayant touché ses fonctions cérébrales. Aux prises avec un problème d’alcoolisme et inapte à travailler, il a perdu le soutien du filet social, pourtant si large au pays. «C’est le système, regarde-moi, qu’est-ce que le système a fait pour moi?» balbutie-t-il en état d’ébriété. 

Entre deux cigarettes, l’homme raconte que plusieurs de ses compagnons d’infortune tombent sous le joug de surdoses. «Sur cette rue (Istedgade), il se vend beaucoup de drogues fortes, on m’en offre souvent, même si je refuse toujours.»

Le système de santé danois, s’appuyant sur une taxe universelle de 8%, offre comme ici des services hospitaliers gratuits, mais rembourse également à tous les médicaments. À condition de ne pas passer à travers les mailles du filet, comme Sven, les Danois bénéficient du sixième meilleur système de santé au monde.

La mise en place de refuges est une autre façon de combattre l’itinérance. Elle reste cependant extrêmement récente, comme la plupart des autres mesures. «Copenhague est plutôt en mode réaction vis-à-vis de l’itinérance, le phénomène étant relativement nouveau en ville et dans le pays», mentionne l’économiste Sune Caspersen. Le Danemark illustre bien comment malgré toutes les bonnes intentions, il n’est pas facile d’éradiquer une problématique sociale comme l’itinérance.

Sven raconte sa réalité, les facultés affaiblies par l’alcool, recevant régulièrement des sous ou une cigarette de la part des passants. Photo: Charles Messier.

RÉALITÉ RÉCENTE 

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) classe le ratio de pauvreté danois à 5,5%, une deuxième place au podium des pays ayant le moins de citoyens pauvres dans sa population, dépassée seulement par l’Islande, qui est d’ailleurs un ancien territoire danois.

«La richesse que l’on reconnaît à la ville de Copenhague, en partie due à sa qualité de vie, est un phénomène réel, mais assez récent, dit Sune Caspersen. Historiquement, c’était une ville avec des conditions de vie assez basses et elle était reconnue comme plutôt pauvre. Depuis 25 ans, surtout, mais aussi avant, cette réalité s’est inversée.»

MOINS NANTIS DISPERSÉS

La ville si propre et si élégante fait valser modernité et traditions architecturales avec zèle. Elle a été réfléchie de manière à intégrer tous ses citoyens, même les plus pauvres. «Ce sont les politiques municipales en matière de logements, explique l’économiste, qui ont forcé la démolition de bâtiments insalubres dans plusieurs quartiers de la ville.» 

C’est en grande partie en raison de la mise en place de logements sociaux de grande qualité et accessibles que la ville a su disperser les moins nantis sur son territoire. Comme la plupart des grandes métropoles du monde, le prix du logement est cependant élevé. «Après un lot d’améliorations sur le plan de l’accès au logement dans les années 2000, le marché s’est lentement libéralisé, menant à une hausse des prix», note Sune Caspersen.

ESPACES COLLECTIFS 

Les investissements dans la collectivité sont l’autre pan du grand projet collectif danois. La ville est bondée de parcs et d’espaces verts, agissant comme de véritables oasis dans la cité. «Copenhague a vraiment excellé à créer des espaces et des services de loisir hors du commun comme le fait de pouvoir se baigner directement dans le port, explique l’économiste. Ce genre de possibilités attire beaucoup de citoyens qui cherchent une bonne qualité de vie, mais elle a aussi comme effet d’augmenter le prix des loyers.»

Beaucoup de cours d’école sont aussi des lieux ouverts à tous, propres, dédiés à la récréation et à la beauté. Plusieurs bâtiments scolaires sont reconnus comme des modèles de beauté architecturale. 

L’éducation est un grand moteur de la prospérité danoise. Alors que 10% de la population québécoise peuvent accrocher un diplôme de deuxième cycle sur le mur du bureau, les Danois voient souvent d’un mauvais œil de ne pas poursuivre les études au-delà du baccalauréat puisque les incitatifs sont généreux. En plus de logements à leur disposition, les étudiants reçoivent une rente d’environ 1000$ par mois de l’état pour assurer leurs besoins matériels pendant les années de leur scolarité.

Il est évident que tous les espaces collectifs, matériels ou immatériels, viennent se poser comme tant de briques dans le processus d’édification du projet collectif danois. Ce sont chacun de ces choix qui visent l’atteinte du si faible taux de pauvreté  danois, exemplaire parmi les meilleurs.

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