Texte écrit par Laurence Béland à l’occasion du concours Critère. En savoir plus.
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Nucléera vit dans une toute petite galaxie. Pourtant, c’est la plus lumineuse de toutes les jeunes étoiles de l’Univers. Sa plus grande fierté est sa lumière, elle l’a bien méritée, mais elle ne l’a pas eue gratuitement. Son créateur, l’Homme sans nom, c’est lui qui lui a permis d’avoir cette lumière.
Un jour, lorsque Nucléera n’étincelait qu’à peine, il a déposé une petite boîte à l’entrée de sa galaxie. Cette boîte était remplie de sable. Nucléera, toute petite à ce moment, ne comprenait pas pourquoi son créateur lui donnait du sable. Une petite note manuscrite accompagnait la boîte. Il y était inscrit : « Chère Nucléera, ma petite étoile. Je dois m’en aller, je ne peux pas te dire où et pour combien de temps. En guise d’adieu, je te confie ce sable, il te permettra de construire ta galaxie à ton image. Lorsque tu en ressentiras le besoin, prends une petite pincée de sable. Elle te guidera, comme je devrais le faire. Fais attention mon étincelle, tu n’as qu’une petite quantité. »
Il avait donné naissance à une étincelle, il l’avait vu se transformer en étoile, il avait assisté à sa première lune, tout ça pour l’abandonner. Comment pouvait-il mettre un cache sur l’étoile la plus lumineuse de la galaxie ? Elle crut que sa lumière n’était pas suffisante pour le garder près d’elle : elle devait devenir encore plus lumineuse, elle devait devenir le Soleil.
Peu après le départ de l’Homme sans nom, l’Étoile mère de Nucléera disparut. Elle s’était éteinte ? Non, une étoile aussi forte, aussi belle, aussi éblouissante que l’Étoile mère ne pouvait s’être éteinte, elle devait avoir choisi de quitter Nucléera elle aussi.
Parfois, Nucléera croyait l’apercevoir au loin dans l’Univers, solitaire. Ce n’était qu’un spectre, le spectre de celle qui naguère était nourricière, celui d’une ère familière ; le spectre de sa mère.
Fouettée d’incompréhension et de culpabilité, Nucléera devait porter un fardeau beaucoup trop lourd… Ou était-ce elle le fardeau ? Ses pensées affluaient au rythme de ses vacillements saccadés. Par sa faute, l’Étoile mère se retrouvait seule elle aussi. Peut-être n’était-elle pas assez forte pour garder l’union familiale soudée ? Peut-être n’était-elle pas assez lumineuse pour les rendre fières ? Peut-être n’était-elle simplement pas assez pour eux, pas assez pour personne ? Peut-être devait-elle s’éteindre elle aussi ? Chancelante, Nucléera n’avait qu’une seule certitude ; tout était de sa faute.
***
La petite Étoile n’eut d’autres choix que d’affronter la froideur de l’Univers toute seule, comme une grande étoile, ce qu’elle n’était pas. Le sable confié par son créateur la réchauffait, la réconfortait, l’enveloppait d’une douce chaleur semblable à celle qu’elle ressentait en présence de L’Homme sans nom et de l’Étoile mère. Cependant, Nucléera n’était pas consciente que lorsque la boîte serait vide, la solitude s’acharnerait à nouveau. Nucléera se mit donc à dépenser son sable comme si la boîte n’avait pas de fond.
Un jour, Nucléera eut utilisé les grains de sable jusqu’au dernier, sa souffrance était devenue trop grande pour son corps de jeune étoile. Elle ne pouvait plus la contenir, elle devait la faire fuir quelque part, s’en débarrasser se vider, mais où ? Nucléera n’avait personne pour l’aider. Elle était submergée. La souffrance s’était transformée en noirceur, en noirceur infinie et s’était propagée dans tous les atomes de l’étoile. Toutes les particules de Nucléera ternirent, elles se transformèrent en une sorte de poussière. Un tas de poussières : c’est ce qu’était devenue Nucléera.
Ce jour-là, une pluie de cendre noire se répandit dans la Voie lactée.
***
Après ce qui parut être des millénaires, quelques débris poussiéreux se retrouvèrent aux confins de l’Univers et fusionnèrent. Leur union réanima une étoile, cette étoile, c’était Nucléera. Maintenant adolescente, elle entreprit une quête des plus ambitieuses : se reconquérir.
Ayant ardemment fouillé tous les recoins, les plis et les trous de l’Univers, Nucléera rafistola les atomes qu’elle avait trouvés. En un fracas fulgurant, les particules de poussière se compressèrent, faisant renaitre une étoile plus éblouissante que jamais, l’étoile la plus lumineuse de l’Univers.
Avec tant d’éclat, elle pouvait à présent devenir invincible. Elle devait faire concurrence au Soleil, se répétait-elle sans cesse. Elle devait éclipser la noirceur, l’enterrer, l’écraser, la tuer avant qu’elle ne le fasse à nouveau. En devenant aussi puissante que le Soleil, la noirceur ne ferait pas concurrence. Plus jamais elle ne redeviendrait poussière, plus jamais elle ne s’effriterait, plus jamais elle ne devrait se reconstruire : elle serait indestructible.
***
Nucléera régnait de nouveau sur sa galaxie, elle était devenue si éblouissante que parfois, cela lui posait problème. Elle attirait des étoiles sans nom provenant d’autres galaxies. Nucléera redoublait alors d’efforts afin d’éblouir les intrus qui s’approchaient d’elle ; elle ne pouvait pas accueillir de nouvelles étoiles qui l’abandonneraient comme ses créateurs. Elle devait absolument se méfier des étoiles sans nom. Certes, éloigner les autres étoiles la protégeait de tout, excepté de la solitude. Un jour, elle se sentit particulièrement seule et triste de ne plus avoir de sable de l’Homme sans nom. C’est alors qu’elle remarqua quelque chose d’étranger sur son corps ; un redoutable, petit trou noir, si petit, mais si dommageable. Nucléera avait entendu des rumeurs qui courraient dans l’Univers à leur sujet. On disait que ceux-ci étaient féroces et pernicieux et extrêmement voraces ! « Ils vous aspirent plus rapidement que la vitesse de la lumière, aussitôt sont-ils apparus, aussitôt êtes-vous disparus ! », lui avaient raconté d’autres étoiles, lorsqu’elle était petite. Cela ne pouvait pas lui arriver après tant d’efforts, mais elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Ses larmes fluorescentes nourrissaient le trou noir qui arrachait tout ce qu’il pouvait accaparer. Elle ne devait plus pleurer, elle n’avait pas le droit ! Mais le trou noir était tenace et la douleur poignante qu’il provoquait était si souffrante que Nucléera ne pouvait s’empêcher de verser quelques larmes. S’assouvissant de quelques perles chatoyantes, le gouffre s’élargissait exponentiellement, aspirant peu à peu la lumière de l’étoile.
Nucléera ne pouvait donc plus repousser les intrus aussi facilement qu’auparavant. C’est alors qu’elle vu quelque chose au loin. Au grand étonnement de Nucléera, cela ne semblait pas être une étoile sans nom, c’était différent et très intrigant. Elle ne pouvait pas déterminer de qui ou de quoi il s’agissait, mais ce n’était surement pas une source de danger si ce n’était pas une étoile sans nom.
La petite chose au loin arriva plus près de la galaxie de Nucléera. L’intrus lui dit qu’il était le Marchand de sable, Nucléera n’y compris rien.
***
Le Marchand de sable était très sympathique à son arrivée dans la galaxie de l’étoile. Il y avait un petit quelque chose chez lui qui poussait Nucléera à ne pas se méfier. Le Marchand voulut faire une entente avec Nucléera, comme tout bon marchand. Il lui dit ceci : « Donne-moi un peu de ta lumière, et je te donnerai tout le sable dont tu auras besoin. Ensemble, nous pourrions bâtir une galaxie chaleureuse. »
Nucléera était excitée à l’idée de retrouver ce que son créateur lui avait enlevé en la quittant, mais elle ne voulait pas perdre sa lumière pour autant. Elle était sur le point de se vider de celle-ci de toute façon, puisque le trou noir ne cessait de grandir. « Je n’ai plus rien à perdre de toute façon. », se dit l’étoile.
Elle commença par inviter le Marchand de sable dans sa galaxie pour la soirée, elle voulait apprendre à le connaitre. Étrangement, Nucléera faisait confiance au Marchand de Sable. Elle était charmée par le Marchand, lorsqu’il lui parlait, sa parole répandait de la poussière de sable dans l’espace, reflétant les mille et une couleurs de cette galaxie qu’elle chérissait tant, de cette galaxie qui ne résidait plus que dans la mémoire de Nucléera. Les mots du Marchand effleuraient la jeune étoile comme une brise chaleureuse, comme une vague d’espoir, de renouveau.
Distraite par l’effet enivrant de la poussière de sable du Marchand, l’étoile se rendue compte trop tard que ce dernier ne voulait pas réellement lui donner de sable, il voulait seulement lui prendre sa lumière. Nucléera ne put rien faire sous la force du Marchand de sable.
Il commença par forcer Nucléera à lui donner une petite partie de sa lumière. La petite étoile était terrifiée, elle n’était pas de taille face à lui, elle ne comprenait pas comment en l’espace d’une minute, celui qui paraissait être son sauveur pouvait devenir un spectre de perdition. Elle ne pouvait pas crier, les autres galaxies étaient beaucoup trop loin pour qu’elle se fasse entendre. Elle ne pouvait pas s’enfuir, elle était trop faible. Le Marchand de sable était dans sa galaxie à elle : elle ne pouvait pas la quitter, elle n’aurait pas d’endroit où aller. Elle était désormais seule dans cette galaxie qui autrefois était l’endroit où elle se sentait le plus en sécurité.
L’étoile essaya de se débattre pour se défaire de l’emprise du Marchand de sable, mais il mettait toute sa force sur elle. Le Marchand de sable entendait Nucléera, mais il ne l’écoutait pas. La petite étoile n’avait nul autre choix que d’obéir au Marchand de sable et de le laisser prendre un peu de sa lumière.
Par la suite, le Marchand de sable promit à Nucléera que cela ne se reproduirait jamais. Son intention n’était pas de faire de mal à l’étoile. Il voulait réellement lui donner de son sable, il lui promit qu’il n’avait pas compris que Nucléera ne voulait pas lui donner de sa lumière tout de suite. Il lui promit que si elle le laissait s’installer dans sa galaxie un peu plus longtemps, il lui donnerait tout le sable qu’il possédait.
Nucléera crut le Marchand, elle avait besoin de son sable. L’étoile craignait que le Marchand donne celui-ci à une autre étoile si elle n’acceptait pas. Il se construit donc une petite planète tout près de Nucléera. Jour et nuit, il observait ses faits et gestes. La petite étoile craignait constamment qu’il lui vole plus de lumière lorsqu’il verrait une opportunité de le faire. Mais elle était encore plus terrifiée à l’idée que le Marchand de sable dise aux autres étoiles qu’il possédait une partie de sa lumière. L’étoile était fermement accrochée à l’idée qu’un jour, le marchand lui donnerait son sable. C’est tout ce qu’elle désirait, elle en avait besoin pour survivre.
Le Marchand de sable continua d’arracher des petites parties de la lumière de Nucléera, elle arrêta de quantifier le temps. Il disait à l’étoile que personne d’autre dans l’univers ne voudrait lui donner de sable. Il était la seule personne qui le ferait, mais pour ça, elle devrait lui donner de sa lumière, un peu plus à chaque fois qu’il le désirait. Il lui disait que c’était de sa faute. En éblouissant l’Univers de la sorte, c’était certain qu’elle se ferait prendre sa lumière. C’était de sa faute, encore de sa faute, toujours de sa faute.
Il était toujours dans les parages. Nucléera ne pouvait rien faire sans se sentir observée par le Marchand de sable, comme si elle lui appartenait, comme si elle était une chose, sa chose. Elle augmenta donc d’efforts, elle voulait montrer au marchand qu’elle méritait son sable. Elle faisait tout en son pouvoir pour attirer son attention, pour le convaincre qu’elle était aussi rayonnante que le soleil.
La petite étoile ne savait même plus comment raisonner. Une petite partie d’elle croyait le Marchand de sable, elle pensait qu’il lui donnerait de son sable. Pour ça, elle ne devait pas protester quand il voulait de la lumière. Nucléera comprit le message du Marchand de sable : il était le seul qui l’aimait, c’était le seul qui accepterait de lui donner du sable. Lui, il ne l’abandonnerait pas comme l’Homme sans nom. Après tout, le Marchand avait déjà pris tant de lumière, Nucléera valait-elle encore quelque chose?
Mais une petite lueur au plus profond de l’étoile sentait que quelque chose n’allait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi le Marchand de sable agissait de la sorte. Pourquoi ne lui donnait-il pas de son sable? Pourquoi la forçait-il à lui donner de sa lumière ? Pourquoi ne l’écoutait-il pas? L’aimait-t-il ? L’aimait-il sincèrement ? Nucléera conclut que c’était comme ça, que c’était la façon dont se passaient les choses dans l’Univers, que c’était ça l’amour. Il ne faut pas la blâmer, après tout, le Marchand de sable était la première personne qu’elle accueillait dans sa galaxie.
***
Un jour, Nucléera sentait le regard du Marchand de sable avide, elle le sentait particulièrement déterminé, résolu à voler sa lumière. La petite étoile était mal en point ; le trou noir avait beaucoup grandi, il la vidait de l’intérieur. Elle ne comprenait pas pourquoi, elle croyait que la présence du Marchand de sable dans sa galaxie allait guérir sa blessure, du moins l’apaiser.
Ce jour-là, Le Marchand de sable s’invita chez elle. La jeune étoile était méfiante, elle se rappelait toutes les fois où le marchand de sable l’avait trahi. Toutes les fois où il ne l’avait pas écouté, toutes les fois où il l’avait forcé. Toutes les fois où il avait tiré avantage de l’effet qu’avait la poussière de sable sur elle.
Mais le trou noir lui prenait beaucoup d’énergie, elle craignait qu’il devienne tellement gros qu’elle s’effrite à nouveau, qu’elle disparaisse… Mais au plus profond d’elle, Nucléera souhaitait disparaitre. Rien qu’un instant, renouer avec la noirceur, s’y installer et peut-être y rester. Fermer la lumière, l’éteindre pour éloigner le Marchand… un petit instant seulement. Non! Elle devait garder espoir. L’espoir qu’un jour, elle obtiendrait ce sable qu’elle désirait tant, ce sable dont elle avait besoin sans quoi elle s’éteindrait. Lorsqu’elle l’aurait, Nucléera pourrait guérir ses blessures, elle pourrait remplir le trou noir. Avec ce sable, elle pourrait entretenir sa galaxie, mais surtout elle pourrait se sentir comme avant, avant que l’homme sans nom la quitte et que l’étoile mère devienne une ombre.
Ce jour-là, Nucléera dit au Marchand qu’elle n’était pas certaine de vouloir le voir, elle était très fatiguée parce que le trou noir lui faisait mal. Il lui dit qu’il viendrait prendre soin d’elle. « Prendre soin de moi? »
Nucléera laissa le Marchand de sable entrer chez elle, mais il agissait différemment cette fois. Elle sentait que quelque chose avait changé dans le regard du Marchand de sable, elle ne savait pas quoi, mais elle n’aimait pas ça. La jeune étoile avait peur, elle ne savait pas quoi faire, quoi dire, comment se comporter. Elle avait peur de faire quelque chose qui déplairait au Marchand. Elle savait que sa colère risquerait d’être grande si elle n’agissait pas correctement.
À peine était-il arrivé qu’il prît Nucléera au piège, dans sa propre maison. Il s’affala sur elle, paraissant plus lourd qu’à l’habitude. Nucléera sentait que cette fois, ce serait brutal. Elle savait qu’elle ne pouvait rien faire contre le Marchand de sable, c’était la fois de trop. Elle était terrifiée à l’idée qu’il se fâche si elle essayait de l’empêcher de prendre sa lumière. Nucléera était figée sous le poids du Marchand, il lui faisait mal. Quelque chose dans son attitude poussa Nucléera à ne rien dire, même s’il lui faisait mal, très mal. Elle avait peur qu’il la blesse encore plus, après tout, le Marchand de sable n’avait pas l’habitude d’écouter Nucléera.
Le corps brûlant du Marchand de sable faisait une pression sur celui de Nucléera, elle était inconfortable, elle avait de la difficulté à respirer. Elle se sentait toute petite face au Marchand, pourtant, c’était elle l’étoile, lui, il n’était qu’un imposteur, un traitre, un menteur, un voleur. C’était un meurtrier, il tuait Nucléera à petit feu.
L’étoile comprit que cette fois, il allait lui prendre toute sa lumière. Malgré son désaccord et sa peur, Nucléera engourdie ne protesta pas, elle ne bougea pas, elle ne fit rien du tout. Elle était figée dans le temps, déconnectée. Elle ne sentait plus son corps, elle n’était plus qu’un amas de matière flottant dans l’Univers. À chaque coup, les particules de son corps s’éloignaient davantage les unes des autres jusqu’à ce que Nucléera ne soit plus, qu’elle ne soit plus que de la matière, qu’elle se désintègre. Elle s’imaginait à la dérive, dans une autre galaxie, à des années-lumière du Marchand de sable, tout près du soleil, bercée par sa chaleur.
La petite étoile flottait dans l’Univers, comme un fantôme.
Elle souhaitait être une ombre
Intangible
Vide
Noire.
Comme le néant
Noir.
Son calvaire dura un moment, lorsque son esprit reprit contact avec son corps, le Marchand de sable était toujours effondré sur elle. Elle sursauta. Le mouvement de Nucléera fit quitter le Marchand de sable. Avant de partir, il lui dit qu’il ne croyait pas être en mesure de donner son sable à Nucléera, qu’elle devrait faire plus pour lui montrer qu’elle le méritait.
Nucléera n’entendait même pas les mots du Marchand de sable sur le coup. Son esprit était confus, son corps avait mal. Sans surprise elle remarqua que le Marchand de sable avait emporté toute sa lumière avec lui, il ne restait plus rien sauf le trou noir qui avait grossi. Elle n’en avait plus rien à faire qu’il grossisse. Rien à faire qu’il l’aspire, qu’il la tue même s’il en avait envie, qu’elle disparaisse, enfin, qu’elle atteigne la noirceur complète. Peu à peu, elle apprivoisa cette noirceur, elle apprit à en faire partie, tellement, qu’elle oublia l’étoile lumineuse quelle était auparavant.
Le Marchand de sable avait créé un deuxième trou noir par son passage, mais celui-là était en surface. Il se résorba rapidement, mais laissa une cicatrice bien visible sur le corps de Nucléera. Malgré les mémoires troublantes et douloureuses qu’elle évoquait, cette cicatrice la réconfortait. Elle lui rappelait que le contact du Marchand était éphémère, qu’un jour, avec chance, elle oublierait sa présence sur sa peau, elle l’oublierait lui. L’étoile était en colère contre le Marchand de sable, elle tenta de lui parler, mais il ne l’accueillit jamais sur sa planète. Cette planète qui était pourtant bien ancrée dans la galaxie de Nucléera. Parfois il lui glissait des mots par la fenêtre. Des mots pour lui faire comprendre qu’elle lui appartenait, quoi qu’elle fasse.
Nucléera n’eut jamais le courage de dire au Marchand de sable comment ce qu’il lui avait fait l’avait blessée du temps où il était dans sa galaxie. Elle souhaitait terriblement lui dire, lui crier comment sa trahison l’avait déchirée, même après son départ vers une autre galaxie. Elle n’eut jamais la force de lui dire ce qu’il était : un voleur, un menteur, un traitre et un meurtrier. Il avait réussi à éteindre une étoile.
Après ce jour, Nucléera arrêta de se nourrir, elle était obsédée par le sentiment de contrôle que lui procurait la privation. Elle se mit à s’infliger autant de douleur que possible. Lorsqu’elle avait mal, elle se sentait en vie, elle se sentait en contrôle de son corps et de ses émotions. Elle se nourrissait de la douleur. Lors des moments les plus brumeux, elle dessinait de toutes petites fenêtres sur son corps, comme si elles avaient le pouvoir de la libérer, comme si elle pouvait ouvrir une de celles-ci et se cacher, ailleurs, dans le noir peu importe où tant qu’elle soit dans le noir.
Nucléera détestait son corps. Chaque fois qu’elle se regardait, elle se rappelait que ce même corps l’avait laissé tomber, il n’avait pas eu la force ni le courage de lutter. Son corps, il était faible, misérable, un tas de matière insipide, un objet dérisoire, une chose insignifiante. Ce corps, tout ce qu’il méritait, c’était d’être blessé, d’avoir mal. Tellement mal que la noirceur prise dans les entrailles de Nucléera s’échapperait, elle exploserait. Nucléera trouvait des façons de rejeter ce qui était bon pour elle, s’en débarrasser pour ressentir ce contrôle qui l’obsédait..
Elle se mit à faire tellement de choses dans l’Univers, que même sans sa lumière, elle éblouirait les autres étoiles et le Marchand de sable, surtout lui. Elle tentait de s’étourdir, de s’engourdir afin d’oublier le contact du Marchand de sable sur sa peau. Elle voulait embrouiller les images qu’elle avait de lui.
La peur qu’elle eût des étoiles sans nom était devenue insurmontable. Chaque fois que l’une d’entre elles s’approchait, la petite étoile s’imaginait toutes les façons dont elle pouvait lui faire du mal.
Elle voulait prouver au Marchand de sable qu’il n’avait aucun contrôle sur elle. Nucléera devait lui montrer qu’elle était meilleure que lui, et que c’était lui qui ne la méritait pas. Mais au fond, elle craignait de ne plus jamais être en mesure de se sentir comme avant tout ça.
L’étoile déambula dans la froideur de l’univers, seule dans sa petite galaxie, avec en sa possession, seulement un souvenir du temps où elle était rayonnante. Du temps où son corps n’avait aucune cicatrice. Du temps où elle n’avait pas peur des étoiles sans nom. Du temps où elle avait encore sa lumière. Un souvenir du temps où elle faisait de l’ombre au soleil.
Épilogue?
Ce que Nucléera désirait, ce que je désire, c’est pouvoir effacer son nom de notre histoire. Encore mieux, l’idée que dans une autre galaxie, je n’aurais jamais eu à l’écrire. Je veux le réduire à ce qu’il devrait être : rien. Un espace vide où il s’est creusé une place dans ma tête, un grain de beauté, où son passage a laissé une cicatrice, un phare où sa violence a volé ma lumière. Rien, ce serait mieux que lui.